Avant-propos

Le présent livre s’inscrit dans le cadre d’un programme général sur l’histoire et la stratégie des guerres irrégulières lancé en 2005. Il a déjà donné lieu à la publication d’un ouvrage général, Stratégies irré­gulières[1], d’un numéro de revue sur la petite guerre[2], tous deux parus en 2009, en attendant un troisième volet qui sera présenté au colloque international d’histoire militaire qui se tiendra à Amsterdam en août 2010[3]. Parallèlement, des recherches plus spécialisées ont été lancées. D’abord sur la petite guerre au xviiie siècle, avec la publication de la grande thèse de Sandrine Picaud-Monnerat[4], qui sera suivie de la réédi­tion de plusieurs traités du xviiie siècle sur la petite guerre (La Croix, Grandmaison, La Roche, Scouand, du Portal) dans le cadre du Corpus des écrivains militaires en langue française. Deux autres thèmes sont en cours d’élaboration, l’un sur la guerre irrégulière sur mer[5], l’autre sur Insurrection et contre-insurrection. Enfin le volet Histoire militaire des guerres de Vendée, dont ce volume marque l’aboutissement provisoire.

Ce volume est composite, car constitué d’un mélange de commu­nications présentées lors de journées d’études et de textes écrits anté­rieurement. Lorsque le programme sur les guerres irrégulières a été lancé, il y a plus de cinq ans, par la Commission Française d’Histoire Militaire et l’Institut de Stratégie Comparée, aujourd’hui réunis au sein de l’Institut de Stratégie et des Conflits – Commission Française d’Histoire Militaire, les guerres de Vendée se sont imposées comme le prototype des guerres insurrectionnelles contemporaines. Alors que la guérilla espagnole a récemment fait l’objet de travaux remarquables, tant en espagnol qu’en anglais ou en français, les guerres de Vendée n’ont pas bénéficié d’une attention équivalente sur le plan strictement militaire. Certes, celui-ci a bénéficié de contributions notables, mais parcellaires, et de la part d’historiens locaux qui n’ont pas suffisamment été pris en compte par la corporation universitaire ou par les straté­gistes. Le présent programme a donc été lancé en vue de combler cette lacune et de tirer parti de tous ces éléments dispersés.

D’où le choix d’un travail en réseau associant des historiens d’horizons différents, issus de l’université, de l’enseignement militaire supérieur et des sociétés savantes. L’Institut de Stratégie Comparée et la Commission Française d’Histoire Militaire se sont donc associés avec le Souvenir vendéen et la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique pour organiser des journées d’étude. Trois ont ainsi pu être montées : la première à Paris le 25 mars 2006, avec le Souvenir vendéen ; la deuxième à Nantes le 20 mai 2006, avec la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlan­tique ; la troisième à La Roche-sur-Yon le 20 septembre 2006, avec le Souvenir vendéen et l’Institut Catholique d’Études Supérieures qui a créé un Groupe de polémologie et stratégie dont c’était la première manifestation. 25 communications ont été présentées et discutées au cours de ces trois journées. 23 sont ici publiées. Il en manque deux, celles de Reynald Secher sur la signification idéologique des guerres de Vendée et de Jean-François Pernot sur les villes dans les opérations des guerres de Vendée. Leur retranscription, initialement prévue, s’est finalement révélée impossible, par suite d’un problème technique avec les bandes d’enregistrement. Lorsque ce problème a été constaté, les délais étaient trop courts pour que les auteurs puissent reconstituer leurs textes. Nous espérons néanmoins pouvoir récupérer ces importantes communications et les publier dans un complément au présent volume.

À ces communications ont été ajoutés plusieurs textes déjà publiés, pour l’essentiel, dans la Revue du Souvenir vendéen et dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique. Dans le premier cas, il s’agit d’un article d’André Sarazin, aujourd’hui décédé, et de plusieurs contributions de Madame Simone Loidreau, que des problèmes de santé ont empêchée de parti­ciper aux journées d’étude. Il nous a paru important de reprendre ces textes qui montrent, comme aujourd’hui ceux de Pierre Gréau, qu’une histoire proprement militaire des guerres de Ven­dée est possible, le manque de sources n’étant, trop souvent, qu’un alibi commode, alors que la matière existe et même abondamment. Le texte de Claudy Valin avait été précédemment publié dans les actes du colloque “La Vendée et le monde”, publié dans les Enquêtes et documents (n° 20) de l’Université de Nantes. L’article de Xavier du Boisrouvray, “Comment combattaient les Vendéens ?”, a paru dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique. L’essai de synthèse du professeur Jean-Pierre Bois, “Charette et la guerre”, a paru dans les actes du colloque “Charette” publiés dans les Enquêtes et documents de l’université de Nantes. La réédition de ce dernier texte s’imposait d’autant plus que la faillite de l’éditeur a entraîné l’arrêt de la collection et la disparition des stocks, de sorte que les actes de ce colloque sont désormais très difficiles à trouver. L’article du médecin-général Carré sur les généraux républicains est issu de sa communica­tion au colloque international d’histoire militaire de 1989.

Nous avons repris deux articles de Bernard Peschot parus dans des revues régionales, peu accessibles : “Le triomphe de la Vendée militaire”, paru dans Histoire et défense, les cahiers de Montpellier, et “La question des niveaux de pacification dans les guerres de l’Ouest. L’exemple du général Hoche”, paru dans Impacts. Ces deux rééditions constituent aussi un hommage à l’un de nos plus grands historiens militaires modernistes, dont l’œuvre n’est malheureusement connue que d’une poignée de spécialistes. Il a été la premier à mettre en lumière l’importance de la petite guerre à l’époque moderne et sa thèse sur La Chouannerie en Anjou, malheureusement peu diffusée, est un chef d’œuvre dont il n’existe pas d’équivalent sur les guerres de Vendée.

Enfin nous avons repris deux pièces que l’on n’ose pas dire archéologiques, mais déjà anciennes. D’abord, un article de synthèse d’Eric Muraise sur l’insurrection catholique de l’Ouest paru dans la Revue historique de l’armée en 1966. Eric Muraise, plus connu pour ses romans pour la jeunesse, a été l’un de nos plus grands historiens militaires dans les années 1950-1970. Son Introduction à l’histoire militaire, récemment rééditée, reste une lecture obligée. Il a également écrit d’autres livres, en collaboration avec le général Gambiez, sous son véritable nom, Eric Muraise étant le pseudonyme du colonel Maurice Suire. L’article du colonel Madelin est le texte d’une conférence prononcée dans le cadre d’un exercice de contre-insurrection à l’Ecole supérieure de guerre à la fin des années 1950. Il n’a pas été possible de retrouver de version publiée. L’intelligence de l’analyse politique de la pacification reste inégalée, un demi-siècle plus tard.

Ce programme ne concerne que les guerres de Vendée, même si l’on a rajouté, grâce à l’obligeance de M. Paul Roger, un article sur les mouvements bretons. Il faudrait compléter cette recherche par son équivalent sur l’ensemble des mouvements insurrectionnels de l’Ouest, voire à l’échelle de la France entière, pour replacer l’insurrection ven­déenne dans son contexte historique et pour essayer de faire ressortir, de manière plus systématique que cela n’a été fait jusqu’à présent, les points communs entre tous ces mouvements, mais aussi les spécificités irréductibles de chacun. Bernard Peschot a bien montré que l’appella­tion générique de chouannerie pouvait recouvrir des phénomènes très différents dans leur intensité, dans leurs structures, voire dans leur nature, et cela est vrai tant dans l’espace que dans le temps. Il faudrait procéder à cette comparaison systématique des chouanneries bretonne, normande, sarthoise, mayennaise…

Le but de ce programme est de replacer les guerres de Vendée dans le contexte général des guerres irrégulières et de fournir des maté­riaux en vue d’une synthèse, qui reste encore largement à écrire. Alain Gérard, le directeur du très dynamique Centre Vendéen de Recherches Historiques, écrivait, en 1992, que “l’histoire militaire des guerres de Vendée attend encore son historien” et ce constat reste largement valable. En lisant les contributions ici réunies, le lecteur pourra se convaincre que les historiens ont, malgré tout, été actifs et que notre connaissance de l’histoire militaire des guerres de Vendée a beaucoup progressé. Il ne reste plus qu’à rassembler ces fragments disjoints. Peut-être est-ce paradoxalement l’énormité de la bibliographie qui a découragé les chercheurs de se lancer dans une telle entreprise. Sans oublier naturellement l’aspect idéologique qui demeure très présent.

Ici surgit une objection qu’il vaut mieux prévenir qu’essayer de la dissimuler. Le travail en réseau unit des partenaires d’origines très différentes, dont certains sont nettement engagés dans un camp. L’objet du Souvenir vendéen est de perpétuer le souvenir des martyrs de la Vendée. Il continue une historiographie “blanche”, qui se reconnait dans la somme de Crétineau-Joly plutôt que dans celle de Chassin. Il nous paraît qu’aujourd’hui, la césure la plus décisive, sur un plan pure­ment historiographique, est moins entre historiens “bleus” et historiens “blancs” qu’entre les historiens qui se reportent aux sources primaires, archives et témoignages de l’époque, sans en exclure aucune a priori, et ceux qui se bornent à recopier ce qui a été écrit avant eux, en ne retenant qu’une version. La Revue du Souvenir vendéen peut revendi­quer un niveau scientifique comparable à celui de beaucoup de revues universitaires. À l’origine simple bulletin de liaison, elle a évolué vers une forme de plus en plus élaborée, avec des articles de fond d’une qualité souvent remarquable. Le fait que ses membres se sentent héri­tiers des insurgés de Vendée ne doit pas conduire à remettre en cause a priori le niveau scientifique de leur contribution. Au reste, on remar­quera que cette objection est toujours faite à sens unique. Personne n’a jamais osé mettre en doute le statut d’Ernest Labrousse, l’un des grands maitres de l’école des Annales, ou de Georges Lefebvre, qui a dominé l’historiographie révolutionnaire pendant une génération. Ernest La­brousse était directeur de la Revue socialiste, Georges Lefebvre était membre du parti communiste et nul n’y trouvait à redire. Sur un sujet d’histoire militaire, d’essence technique, dans lequel il n’y a pas besoin de prendre parti sur les grandes questions polémiques, ce genre de controverse ne devrait pas avoir d’objet. Comme l’a si bien dit Jacques Hussenet, il faut “transcender les clivages partisans et extraire les informations utilisables là où elles se trouvent, quelles que soient les opinions de leurs auteurs”. Encore une fois, le but de cette recherche n’est pas de réécrire l’histoire des guerres de Vendée, mais simplement de mettre l’accent sur une dimension militaire qui devait être fonda­mentale comme dans toute guerre, mais qui a été un peu trop éclipsée par les enjeux politiques dans l’historio­graphie contemporaine. Cette recherche espère être utile, à la fois, à l’histoire militaire et à la théorie stratégique.

Nous avons essayé, dans la mesure du possible, d’homogénéiser la présentation des textes ainsi que l’orthographe des personnages et des lieux. Un tel exercice est très difficile, en raison de la grande liberté (ou de l’anarchie) qui existait alors. On parle ainsi du prince de Talmont ou de Talmond. La Révolution a encore compliqué les choses dans le cas des ci-devant nobles : on a ainsi le général du Bayet ou Dubayet, le chevalier Des Touches ou Destouches… De la même manière, une bataille peut être désignée sous plusieurs noms différents, Claudy Valin donne ici l’exemple, porté à l’extrême, de la bataille dite du Pont-Charrault. Nous n’avons pas cherché à réaliser une standar­disation factice là où ce n’était pas indispensable.

À l’issue de cette recherche qui s’est étalée sur plus de cinq années, c’est pour nous un agréable devoir que de remercier tous ceux qui y ont contribué, d’une manière ou d’une autre. D’abord, en priorité, ceux qui ont accepté de participer aux journées d’étude et de mettre en forme leur contribution. Ensuite, les présidents des associations qui ont bien voulu s’associer à cette entreprise et ont permis à ce livre de voir le jour : Mlle Thérèse Rouchette pour la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique et M. Jehan de Dreuzy pour le Souvenir vendéen. Mme Simone Loidreau a généreusement soutenu notre initiative et autorisé la reproduction de plusieurs de ses articles. M. François Boulêtreau, directeur général de l’Institut Catho­lique d’Etudes Supérieures, nous a accordé une aide inestimable en accueillant la troisième journée d’étude et en permettant, par son soutien financier, la publication du présent volume. M. Jean-Marie Schmitt, directeur général de l’Institut d’Etudes Supérieures des Arts, nous a généreusement accueillis pour la première journée d’étude dans ses locaux de l’avenue de l’Opéra à Paris, tandis que l’équipe du musée Dobrée nous accueillait pour la deuxième à Nantes. M. Jean-François Dubos a efficacement contribué à la relecture, Mlle Isabelle Redon a pris en charge l’édition du volume. Que tous trouvent ici l’expression de notre reconnaissance. Naturelle­ment, chaque auteur n’est responsa­ble que de ce qu’il a écrit, les maîtres d’œuvre assurant seuls la respon­sabilité de l’ensemble et de ses inévitables imperfections.

 Hervé Coutau-Bégarie et Charles Dore Graslin


[1]    Hervé Coutau-Bégarie (dir.), Stratégies irrégulières, Paris, ISC-Économica, 2010, reprise d’un numéro spécial de Stratégique, n° 93-94-95-96, 2009.

[2]    Revue internationale d’histoire militaire, n° 85, 2009.

[3]    Stratégique, n° 101-102, juillet 2010.

[4]    Sandrine Picaud-Monnerat, La Petite guerre au xviiie siècle, Paris, ISC-Économica, 2010.

[5]       Une esquisse a été proposée dans Hervé Coutau-Bégarie, “Irrégularité et guerre sur mer”, Bulletin d’études de la marine, n° 45, mai 2009, p. 109-110.

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